Je souhaite vous parler d’un coup de cœur ; le livre de Leila Sebbar, L’arabe comme un chant secret, (Éditeur : « Bleu Autour », 2007, 78 pages).
Voici la 4e du livre et une présentation de Sophie Deltin.
La 4e du livre:
Comment vivre séparée de la langue de son père, l’arabe ? Leila Sebbar témoigne de son obstination d’écrivain face à cette question pour elle lancinante, depuis l’Algérie coloniale, où elle est née d’un père algérien et d’une mère française, jusqu’à Paris, où elle écrit son père dans la langue de sa mère. L’un de ses livres les plus personnels et émouvants.
Présentation du livre par Sophie Deltin
(article paru dans la revue Le Matricule des Anges no 89, janvier 2008)
Leïla Sebbar réarrime le fil de sa mémoire au plus près de ce point perdu que fut la langue de son père. Un livre dédié à tous les enfants nés d’une union mixte.
Il y a quelque chose d’une intranquillité résolue, voire d’un orgueil buté dans le travail de mémoire que Leila Sebbar, sous forme d’un hommage continué adressé au père, entreprend depuis voilà plus de vingt ans. Pour qui connaît la prose de l’écrivain, singulière dans son dépouillement, sa retenue même, comme dans ce récit si pudique (Je ne parle pas la langue de mon père, Julliard, 2003) ou dans la plus courte de ses nouvelles égrenées ici ou là (Le Peintre et son modèle, Al Manar, 2007), elle fait preuve – peut-être en cela prédestinée par son nom qui le dit en arabe – d’une extraordinaire » patience » à recréer du lien, et à retracer l’histoire d’une filiation rompue.
Fille de son père, un Algérien laïc, républicain communiste et non moins musulman, et de sa mère, une » Française de France « , catholique et institutrice, l’écrivain remonte le cours de cette division, de cette « déliaison » originelle qui est devenue chez elle le site de son écriture. Une » rupture généalogique » qu’elle porte comme une griffe d’intimité douloureuse et qui prendra l’allure d’un double exil : à la fois d’une terre (l’Ouest algérien de son enfance qu’elle quittera à 18 ans) et d’une langue, dont son père, » colonisé » par l’école dans la langue de l’Autre, tout en s’y faisant lui-même hôte étranger en devenant instituteur en français, la priva délibérément. » Mon père m’a placée volontairement du côté de ma mère, du côté du vainqueur, du dominant (…) dans sa langue et dans ses livres, obstinément. » Mais pourquoi pour autant avoir passé et imposé sous silence, l’idiome de sa tribu, avec dans son sillage, l’histoire, l’imaginaire, toutes les légendes et les chansons qu’il charrie ? » Une amnésie volontaire si absolue peut-elle être généreuse ? » s’interroge celle qui s’est toujours, en conscience ou non, coulée dans le désir du père de ne pas apprendre l’arabe. Trahison à sa propre terre, à sa propre mère par amour sentimental pour une autre femme, ou acte de fidélité radical pour une langue que son père, » l’étranger intime « , a voulu préserver intacte, en la rendant inaccessible, même après son exil en France en 1970 ?
Réunis ici bout à bout, les six textes – à l’origine des articles de revues ou d’ouvrages collectifs – disent en commun » l’énigme de la langue absente « . À moins qu’il ne s’agisse de cette autre énigme, non moins lancinante, qui veut que l’on puisse souffrir de la » perte » de ce que l’on n’a pourtant à proprement parler, pas » eu » : une langue jamais parlée ni dans » l’école des garçons indigènes » dirigée par le père, ni à la maison – » sa petite France qu’il transporte d’un poste à l’autre » – mais dont la présence fantôme, comme » sédimentée « , s’est toujours fait sentir. Ainsi de cette scène rituelle, où la petite fille se retranche au plus profond d’elle-même pour saisir » le relief » de cette langue orale qui fait irruption, comme par effraction, le matin lorsque le père formule en arabe les consignes domestiques à l’adresse des bonnes, Aïcha et Fatima. Toute l’histoire de Leila Sebbar avec » l’autre côté de (s)on corps natal « , l’Algérie, se joue dans cette distance irréductible mais rendue » familière et complice « , grâce à une faculté d’écoute attentive à des intonations, des gestes et des voix.
C’est ce » bruit de langue » retenu à la sauvette qu’il lui faudra plus tard aller recueillir de nouveau, » en clandestine » et en » fille traversière » cette fois, de l’autre côté de la mer et jusque dans les squares, les parcs, les cafés ou les wagons de métro des banlieues de France. Des voix de femmes arabes sans alphabet qui bavardent encore dans l’exil et dont l’écriture de Leila Sebbar s’abreuve comme à une mère d’écriture, même sans les comprendre à la lettre. Car » j’ai le son, dit-elle, je n’ai pas besoin du sens, il est pour ainsi dire déjà là « . En devenant le » scribe » de son père, Leila Sebbar n’aura pas seulement cherché à faire résonner le silence assourdissant d’une langue et d’une mémoire. Plus profondément, se révèle la quête éperdue à vouloir honorer dans un geste ultime de don, une offrande, ce qu’elle estime avoir relevé d’un sacrifice consenti, d’un acte de » résistance « .
Vous pouvez procurer les deux livres de Leila Sebbar. Il suffit de cliquer sur leur couverture.
Bonne lecture.
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